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L'Après Derby
L'après Derby, on devient quoi? Hell Vice, retraitée du Derby depuis un an, nous partage son expérience de la fin du Derby
L’après Roller Derby, on devient quoi ?
Ce n’est pas qu’un sport, celui ou celle qui a un jour rejoint une équipe aux balbutiements du derby le confirmera. Le roller derby est une famille autant qu’un exutoire, l’accueil y est bienveillant, les personnalités décalées, drôles et atypiques… On devient accro très vite surtout quand on a toujours eu le sentiment d’être un peu différent·e. La communauté derby ne juge pas, elle accepte, elle met en valeurs les qualités et fait abstraction des défauts.
On peut essayer le derby par hasard, mais on y reste pour d’autres raisons, quand on n’a pas baigné depuis toujours dans le sport, je pense que cela résulte d’un désir profond de se prouver quelque chose à soi-même, de trouver une communauté qui nous ressemble et de se réaliser autrement que par le chemin standard études/travail/famille.
Début 2013 je fonde avec 4 autres joueuses l'équipe de Thonon, je chausse mes patins, trouve un derby name qui en jette, enfile une paire de collants résille et deviens une guerrière sans peur prête à repousser encore plus loin mes propres limites. Au derby je deviens celle que j’ai toujours rêvé d’être. L’équipe est toute neuve, tout comme ce sport qui ne compte encore que peu d’équipes en France et en Europe. Les rencontres sont nombreuses, enrichissantes et les week-ends bien remplis, c’est le début d’une chouette histoire qui nous fera faire le tour de France des gymnases et nous mènera jusqu’au championnat N1.
Oui mais quand ça s’arrête brutalement, qu’est-ce qu’on devient ?
La saison 2023 fut pour moi la dernière, pour des raisons personnelles j'ai décidé de mettre HellVice #26 à la retraite et me consacrer à ma famille. Oui mais voilà... Quand le derby blues du lundi matin ne s’arrête plus au prochain entraînement et se prolonge indéfiniment, quand les soirs d’entraînements se transforment en soirée Netflix, quand la guerrière du track redevient pour toujours une conjointe, une mère, une employée… qui suis-je en fin de compte ?
Pendant 10 ans j’ai façonné un personnage qui me plait, était-ce réellement moi ou juste une image que je voulais me donner ? Parce que hors du track je suis comme tout le monde, je me lève tôt le matin, m’occupe de ma famille, part travailler et rentre le soir. Je ne suis pas cette grande gueule qui bat toute l’équipe au concours de protecs qui puent et que les fresh regardent effectuer une pirouette sur les stoppers avec admiration. Sans mon personnage je me sens insignifiante, à croire que je ne vivais que pour ma passion quelques heures par semaine et pour la communauté qui m’entourait.
Le retour à la réalité est compliqué après des années de shoot hebdomadaire aux hormones du bonheur, c’est un état de manque, clairement, c’est un sevrage. Je me fais aider psychologiquement. La solution se pose rapidement, il faut vite reprendre une activité physique soutenue pour retrouver ce sentiment de bien-être intérieur et ne pas voir tous mes efforts pour me sculpter un corps fort et endurant réduits à néant.
Oui mais voilà, quelle activité choisir ?
Passer des heures à la salle, sur un vélo, courir dans la forêt, marcher en montagne, nager, faire du yoga ? Mais dans quel but ? Il n’y a plus de saison à préparer, plus de matchs à gagner, de coéquipières à soutenir, d’objectif commun… Tout paraît vide de sens. Autre détail, après toutes ces années à se perfectionner, il faut repartir de zéro et redevenir débutante dans une discipline, la fierté en prend un coup ! Mais je me fais une raison et continue d’essayer toute activité sportive qu’on me propose.
Passé ce cap, la lumière revient, je trouve des avantages à ne plus dépendre d’un calendrier, d’horaires et d’autres personnes pour pratiquer une activité, ne plus passer le week-end enfermée dans un gymnase quand il fait beau dehors. Physiquement les douleurs aux genoux, aux chevilles et au dos s’estompent (les back blocs ne me manquent vraiment pas !) et je rechausse avec plaisir mes patins pour une balade ou un après-midi au pump track.
C’est un véritable combat intérieur que de laisser derrière moi un sport qui n’est pas qu’un sport, qui pendant 10 ans m’a définie en tant que personne et m’a fait vivre tellement d’émotions fortes. J’ai connu les débuts du derby à Nice en 2008, co-créé l’équipe de Thonon en 2013 et ai vu l’évolution fulgurante du derby passer de « système D » à ce qu’il est aujourd’hui, une véritable institution, organisée et reconnue. Mon équipe m’a apporté énormément de soutien, nous avons su créer un climat "safe" où les émotions, les peurs et les choix sont écoutés et compris. Sportivement nous nous sommes montrées combatives et efficaces malgré les hauts et les bas, j’ai pu rencontrer des femmes fortes, drôles, intelligentes et incroyablement belles que l’on devrait tellement mettre plus en avant dans notre société actuelle.
J’ai vécu ce que je pensais être les plus belles années de ma vie mais c’est sans compter sur tout ce qui vient, donc pas de regrets. Longue vie au derby et bravo aux personnes formidables qui le composent et le font évoluer.
Hell Vice #26