Pour ce nouveau portrait de joueuse, nous sommes allés à la rencontre de Dédé Froquée ! De ses débuts chez les Leopard Avengers à sa sélection en équipe de France, en passant par son expatriation en Suède, elle s'est confiée sans détour et sans tabou sur son parcours et ses experiences de derby au sein de ses différentes équipes.
Peux-tu te présenter en quelques mots et nous expliquer comment tu es entrée dans le monde du Derby ?
Je m’appelle Adélie aka Dédé Froquée, j’ai 29 ans, je suis jammeuse titulaire de l’équipe de France. J’ai joué la dernière coupe du monde de roller derby avant d’intégrer l’équipe de Crime City de Malmö en Suède pour la saison 2018/2019.
J’ai commencé le derby en 2013 à Caen, sur le bitume d’un parking souterrain, là où s’entraînait alors la toute jeune équipe des Leopard Avengers, dont faisait partie une de mes amies. Elle m’avait invité à venir essayer ce sport dont je n’avais jamais entendu parler. Je n’étais jamais non plus montée sur des patins et je me tenais aux murs pour ne pas tomber, tout en louchant avec admiration sur les filles qui jouaient.
Plus qu’intriguée, j’étais déjà hameçonnée.
Et ce Derby Name il vient d'où ?
Mon nom « Dédé froquée » vient de mon premier scrimmage où j’ai littéralement « défroqué » une de mes coéquipières en tirant trop fort sur son short pour pouvoir sortir du pack, et puis aussi du fait que je sois toujours un peu désorganisée, jamais les mêmes chaussettes, mes pulls souvent à l’envers...et puis je me souviens qu’il fallait que je trouve rapido un nom pour floquer nos maillots et je manquais cruellement d’idées et surtout je ne pensais pas qu’il me collerait à la peau si longtemps ce nom...j’étais loin de m’imaginer aussi qu’on me demanderait si souvent de l’expliquer..(sinon peut être que j’aurais fait plus d’efforts :))
Et en dehors du Derby... ?
Dans la vie « réelle » hors patins, j’ai plusieurs casquettes : je suis artiste peintre et dessinatrice à Caen, surveillante dans un lycée pendant l’année scolaire et monitrice de surf pendant la saison estivale en Irlande.
Tu as un beau parcours, avec notamment ta participation à la dernière coupe du monde, tu peux nous en dire un peu plus sur ta progression en tant que joueuse ?
Caen est ma ligue d’origine depuis 2013, c’est à Caen que j’ai appris à patiner, puis à jouer et avec Caen que j’ai fait mes premières expériences de match. L’équipe a connu une belle évolution depuis sa création. Elle est petite mais costaude et en constante évolution. Elle a su tirer son épingle du jeu et trouver sa place en élite et dans le tableau européen ces dernières années ! Les léopards sont une poignée de joueuses fantastiques, humainement et sur le terrain !
J’ai fait des allers et retours au sein de la ligue, car j’aime voyager.
En 2015 je suis partie en Australie à Perth pendant un an et j’ai intégré les West coast evils. Je n’aurai jamais autant patiné de ma vie sur et hors le track qu’à cette période. Là-bas les pistes cyclables et les trottoirs sont des autoroutes de bitume parfait, plus un ciel bleu impeccable tous les jours. Des conditions optimales pour avaler les km, Je ne me déplaçais plus qu’en quad ! J’allais au boulot en roller, faire mes courses en roller, et puis le soir aux entraînements en roller. Je rentrais chez moi de nuit avec ma lampe frontale et mes tongues dans mon sac, toujours en roller...j’étais devenue complètement mordue au Street Skate et à cette sensation grisante de gagner en vitesse, en agilité et en technique, et de pouvoir placer ces nouveaux atouts dans mon jeu de jammeuse ! Comme si ça ne suffisait pas, je profitais aussi des cours de patinage de vitesse et artistique qui avaient lieu avant nos entraînements de derby au Rollerdrome de Morley, fief des PRD!
L’équipe de Perth m’a accueilli les bras ouverts. J’ai très vite intégré leur charter A et pu jouer des matchs très intéressants, notamment le « Royal Rumble Tournament » à Brisbane. Le niveau était bon, elles m’ont fait vraiment évoluer dans mon jeu. Ce sont elles aussi les premières à m’avoir encouragée à postuler à la team France.
Ce que j’ai fait. Nous sommes en 2016 et je suis de retour en France pile poil pour participer au dernier stage de détection avant les sélections. L’aventure commence ! S’ensuivent deux années de pure folie. Je ne vais surprendre personne en disant que ça a été une expérience humaine et sportive inoubliable ! Des belles rencontres avec des personnes dont beaucoup sont devenues mes ami.e.s, des km de route aux quatre coins de la France pour vivre des week-end de préparation à la world cup, des litres de sueurs, des heures et des heures d’entraînements, des émotions fortes. Nous nous sommes toutes vraiment tirées vers le haut. L’équipe était très compétitive et le niveau excellent. Je suis très heureuse d’avoir fait partie de ce collectif. Quant à la coupe du monde, ça a été un moment fort et nous ne sommes pas peu fières de notre performance. Je suis revenue de Manchester en planant à quinze mille. J’y ai décroché aussi mon sponsor Roller Rerby Elite, marque avec laquelle je roule depuis ! C’est le pic de la vague !
A la fin de la saison 2018, je suis à un carrefour. Une partie de moi rêve de pousser l’expérience derby à son maximum et de vivre une nouvelle aventure à l’étranger en intégrant une équipe de haut niveau, et une autre partie de moi crie une profonde fatigue et une certaine lassitude, l’envie d’en rester là... Celle-là je décide de l’ignorer complètement. On a qu’une vie, c’est maintenant ou jamais, je prendrai ma retraite plus tard !
Je jette mon dévolu sur l’équipe de Crime City en Suède, à Malmö. Pourquoi ? Il y a la mer, la ville n’est pas trop grande, le vélo y semble roi, les falafels j’aime, je suis fan de leur jeu et c’est la première équipe européenne ! De quoi se faire bien plaisir. Le plan : trouver une coloc, un job, un vélo d’occasion, acheter un Pass pour le sauna et apprendre le suédois, boire du fika et jouer une saison pour Crime City avec l’espoir de jouer les Championnats du monde 2019.
Tout s’est passé comme sur des roulettes (du moins pendant un certain temps) et bien plus vite que prévu...
J’ai fait mes valises et en septembre 2018 après ma saison de surf en Irlande, j’arrivais à Malmö. J’ai passé des sélections dans la foulée et cru défaillir avant de sauter de joie quand elles m’ont annoncé que j’étais sélectionnée dans leur rotation de jammeuses pour partir jouer les Champs avec leur équipe A aux USA six semaines plus tard ! Pardon ? What the F… ?? le truc un peu fou quand même, je n’en revenais pas !
J’ai alors mis les bouchées doubles pour me préparer. Mon intégration s’est faite rapide comme l’éclair ! Crime city est une équipe qui se veut très inclusive et encore une fois, j’ai eu la chance d’être accueillie de la meilleure façon qui soit. J’ai dû vite apprendre leur jeu et leurs stratégies. Trois entraînements d’équipe et un scrimmage par semaine, la prépa physique et mentale, les réunions d’équipe, toute l’organisation autour de l’échéance... J’ai refoulé un peu plus loin la fatigue. Je voulais être au top et à la hauteur de cette compétition, à laquelle j’avais tellement rêvé de participer un jour !
Un interminable vol transatlantique.
Ce moment où nous sommes arrivées dans l’immense « arène » encore vide, où sera donné le lendemain le premier coup de sifflet de départ de jam du match d’ouverture du « 2018 international WFDTA championships », et que sur le track des joueuses mondialement connues comme Bonnie Thunders ou encore Loren Mutch, pour ne citer qu’elles, sont en train de tester le sol... mon petit cœur s’est emballé !
Et le matin du jour J en ouvrant les yeux dans notre chambre d’hôtel à Bourbon Street en plein cœur de la Nouvelle Orleans, avec la perspective de notre premier match dans à peine quelques heures. Il n’y a pas de mots pour expliquer l’état d’excitation dans lequel je me trouve alors !
Et dans les vestiaires, les yeux fermés, quelques minutes avant de monter sur le track, au rythme des paroles suédoises de notre chanson d’avant match !
Les messages des supers copains depuis la France qui m’encouragent et qu’on ne veut surtout pas décevoir.
Deux matchs intenses et serrés, une défaite contre Montréal, une victoire contre Jacksonville. C’était incroyable d’affronter des équipes de cette envergure. C’est un autre univers.
Sur le terrain j’ai tout donné jusqu’à la moindre goutte de mon énergie vitale.
La suite est moins jolie…
Le retour en Suède a piqué un peu. Trop de fatigue accumulée, trop d’émotions fortes, la pression qui redescend d’un coup et paf la machine qui s’enraye et explose.
En gros mon corps a lâché, physiquement et mentalement, à force d’avoir trop tiré sur la corde. J’ai fait un Burn out. Ce mot très à la mode dans le milieu professionnel et qui existe bel et bien chez les sportifs de haut niveau, amateurs ou professionnels. Quelque chose dont on ne parle pas ou peu et qui reste encore tabou à l’heure où le sport à haute intensité est encensé et le sportif adulé pour ses performances. Notre discipline n’est pas épargnée, peut-être même aux premières loges car encore trop peu encadrée.
Quand on pratique une discipline pendant longtemps, peut arriver un moment où on se sent moins en forme, moins efficace. Le réflexe peut être d’augmenter encore plus notre volume d’entraînement pour compenser, avec l’idée que plus on en fait, plus on sera au top. Et puis il y a toujours une échéance, un match à l’approche, on ne peut pas se permettre de faire une pause, il y a l’équipe qui compte sur nous, sans oublier que c’est un peu devenu notre shoot d’endorphine ce sport, alors ça peut être dur de s’en passer, bref le cercle vicieux s’enclenche. On va commencer à faire des contre-performances malgré tout. Perdre du plaisir, se sentir irrité, anxieux plus que de raison à l’approche d’un match par exemple. Ce sont des signes de surentraînement. En cause, un déséquilibre entre training et récupération, tout simplement. Il va y avoir des répercussions mentales et physiques.
Si on est raisonnable et qu’on s’arrête, quelques semaines pourront suffire et permettre à notre corps de se reposer et de relancer la machine, d’où l’importance des breaks de fin de saison.
Si on persiste, ça se solde souvent par une blessure suffisamment grave pour nous contraindre à s’arrêter !
Je n’ai pas eu cette chance, c’est drôle à dire, mais j’aurais préféré, ça aurait été plus facile à gérer je crois psychologiquement. Et j’aurais eu l’impression d’avoir une raison visible plus facile à expliquer quand on me demande mais tu ne joues plus ? Non, moi j’aime faire les choses en grand :D et je suis allée jusqu’au Burn out. De ne pas avoir fait de pause dans mes efforts en sept ans de derby, d’avoir enchainé les saisons de derby puis mon job de monitrice de surf, les objectifs d’équipe et perso, les challenges sportifs, d’avoir poussé toujours plus loin et plus fort, j’ai été mise au tapis !
Bon je vous passe les détails du burn out, on en entend suffisamment parler au quotidien, mais j’ai été contrainte de rentrer en France car dans un état d’extrême fatigue et d’anxiété généralisées.
J’y ai laissé mon envie de jouer et la force de m’entraîner. Quand on est conduit depuis des années par une passion et qu’elle nous devient sournoisement insupportable, je peux vous assurer qu’il y a de quoi être déboussolée. Et on n’accepte pas facilement. J’ai résisté encore un peu, J’ai retrouvé l’équipe de Caen en janvier, j’ai commencé à les coacher, à m’entraîner en dilettante, en tant que bloqueuse avec les filles, à me dire encore que c’était possible de retrouver l’envie, peut être en changeant de poste. J’ai benché Caen sur la première étape du championnat, j’ai fait la seconde étape du championnat de France en tant que bloqueuse. J’étais comme là sans être là. J’ai retrouvé pas mal de mes copines de l’équipe de France et à la question « alors Dédé tu postules de nouveau pour la team France ? » j’étais désemparée, entre l’envie de répondre « oui bien sûr » car comment pourrais-je mettre une croix là-dessus ? Et ben non en fait ça ne se voit pas là mais je me suis pétée les jambes, les bras, la tête et le cœur en même temps.
Loin de moi était l’idée de raconter ma vie sur la place publique. Pour être honnête, j’ai hésité longtemps à en parler, quand j’ai accepté de faire cet article, après avoir un peu regretté d’avoir dit oui, je me suis dit bon je vais juste dire : « les champs trop bien, puis j’en ai eu marre de jouer au derby, je suis rentrée en France, j’ai un peu bloqué, maintenant je coache l’équipe de Caen, j’arrête l’Equipe de France pour me consacrer à d’autres projets personnels... » et hop ni vu ni connu ! Mais la vérité est que je me dis finalement que ça peut être utile à quelque chose de raconter mon expérience. Une sorte de message de prévention à toutes ces athlètes que nous sommes, qui sont prêtes à donner beaucoup pour évoluer dans ce sport que nous adorons, et tout donner, parfois trop !
Soyez vigilant.e.s. aux signes de surentraînement qui peuvent mener au Burn out. S’écouter est primordial. Aucun challenge ne justifie de sacrifier son plaisir, qui est l’ultime objectif !
Après toutes les étapes que tu as passées, les obstacles franchis et les difficultés que tu as rencontrées, quels conseils donnerais-tu aux joueuses qui voudraient intégrer la team France et jouer en haut niveau ?
Prenez soin de votre plaisir de jouer ! Ça paraît con, mais dès lors que vous prenez un maximum de plaisir à jouer, vous ne pouvez qu’évoluer et progresser un maximum, car alors vous ne comptez plus les efforts, car ce ne sont justement pas des efforts mais du kif !
Prendre du plaisir ça veut aussi dire qu’on est complètement absorbé par nos actions et nos mouvements, on est dans le jeu et plus dans la perspective de gagner ou de faire mieux ou plus, et alors nos mouvements sont plus fluides, spontanés et efficaces.
Méditez ! Je n’aurais jamais été aussi loin dans ce sport si je ne m’étais pas entraîné à prendre cette distance avec mon brouhaha mental !
Faites du yoga et des exercices de respiration, pour allonger votre souffle, gagner en souplesse et donc agilité !
Grimper des côtes en roller ! Je n’ai jamais trouvé meilleure manière d’améliorer mon cardio et ma puissance de patinage !
Savoir être mesurée. Dans vos charges d’entraînement, dans votre récupération, dans votre alimentation, votre sommeil, il n’y a pas de recette magique, chacun est différent mais quand on cherche l’équilibre il vaut mieux viser au milieu !
Vous entourer de vos proches, vos coachs, vos coéquipières pour vous soutenir et vous encourager, vous donner la patate !
Aujourd'hui, quel est ton avenir dans le derby ?
Huit mois après les Championships et mon aventure suédoise, maintenant que j’ai retrouvé mon équilibre et que j’y vois plus clair, c’est sans regret et avec sérénité que je décide d’arrêter la compétition à haut niveau. Je suis ravie d’y avoir goûté et d’avoir pu jouer pour une des meilleures équipes du monde.
Je me retire aussi officiellement de l’EDF, contente d’avoir fait cette expérience une fois dans ma vie et impatiente de venir voir jouer la nouvelle équipe de France en tant que supportrice !
Je vais bien sûr continuer à m’impliquer dans notre sport et dans mon équipe à Caen avec cette bande de nanas géniales ! Je me laisse encore du temps alors je ne sais pas exactement la forme que ça prendra, mais ça sera bien, avec ou sans patins!
Pour finir, tu peux nous raconter ton meilleur souvenir derby ?
Je cherche et il y en a des milliers, c’est trop dur de choisir alors je vais balancer le premier qui me vient...je nous revois toutes en train de déconner dans la piscine du camping lors de mon tout premier stage avec l’équipe de France. Ça compte ??